à consommer avec modération (épisode 3)
Le modo paradoxal:
Dès son arrivé en tant que joueur, on remarque qu’il écrit bien, très bien même, avec un langage que n’aurait pas renié un courtisan du siècle des Lumières. Intronisé modérateur on ne sait trop comment ni pourquoi, son écriture châtiée aurait pu être agréable si elle n’était accompagnée d’une prétention et d’idées qui frisent le ridicule, telle une collaboration entre la plume de Voltaire et la mentalité de Bernard-Henri Lévy.
Sa présentation est un modèle du genre : un vrai Alain Delon qui s’ignore ! Il se présente à la troisième personne tel un être à part-de-la-société-que-je-suis-pas-comme-vous-je-m’habille-différemment, décrivant en long, en large et en levrette son look qu’il croit atypique alors qu’il y en a des millions comme lui. Très atypique en effet de se croire en marge de la société et de finir modérateur sur un forum de clichés vivants ou la moindre intervention qui « dépasse » est aussitôt réprimée.
La moindre signature qui dépasse d'ailleurs, diantre! N'en parlons pas! C'est, avec le port de son chapeau haut de forme en Harley Davidson, sa principale préoccupation.
Une autre règle à laquelle il ne dérogera pas et qu'il s'est d'ailleurs fixée lui-même, c'est de ne jamais, au grand jamais, frayer avec les gueux autres joueurs. Ceux qu'il côtoyait avant? Il ne les reconnaît plus (en Harley Davidson, me direz-vous...), n'hésitant pas à les bannir sous de fallacieux prétextes en laissant apparaître publiquement la joie de son attente enfin récompensée.
C'est tout le paradoxe de notre Jack l’Eventreur du pauvre : un style élevé au service d’idées plus basses les unes que les autres. Ainsi, lorsqu’une joueuse se plaint d’être moquée par notre équipe de bras cassés qui sont censés empêcher le lynchage public sur le forum mais ont eu la lumineuse idée d’aller le faire ailleurs, il débarque gentiment, comme un poil de cul dans le potage, pour nous rappeler quelques vérités vraies de la vie qu’elle est comme ça et on n’y peut rien c’est la nature, ce qui donne, en résumé:
« Nous sommes des êtres humains, et le propre de l’humanité, c’est de se moquer de son prochain pour se décharger de la trop grande pression inhérente à l’existence ». ( en version sous-titrée: ouais bon ça va mes collègues se sont fait prendre la main dans le sac comme des gamins mais bon, hein, tout le monde critique, être modo c’est quand même un boulot super dur, avec une pression constante, le CAC 40, le sort de l’économie française tout ça, faut bien se défouler sur une pauvre gogo de temps en temps.)
Après ça, on se demande encore quel est l’intérêt de passer des heures sans compensation financière, à prôner des règles en lesquelles on ne croit pas soi-même.
Mais il continue, imperturbable : « En tant que modérateur, nous sommes la cible de critiques constantes et ininterrompues, ce qui ne choque personne » (VOST : « pis déjà nous aussi on s’en prend plein la gueule d’abord et personne dit rien, alors zut on a quand même le droit de faire pareil avec une dinde qui a rien demandé, c’est le jeu ma pauv’ Lucette »). Un peu comme le mec largué par sa copine, qui va briser le cœur de la suivante parce qu’il confond souffrance et légitimité de faire du mal.
Cette généralisation se retrouve partout ailleurs : que l’on ouvre un topic parlant des relations des jeunes filles en fleurs avec des mecs plus âgés , le voilà en mode vieille jalousie non réglée, en train de vilipender les vilains « djeun’s » , avec au menu les jeunes filles, toutes des connasses intéressées qui sortent avec des mecs plus âgés pour faire genre alors qu’elles sont même pas matures (il a des preuves, il en a connu une), suivi des jeunes hommes, tous des prétentieux qui se la pètent alors qu’y a pas de quoi, vraiment. Notre littéraire érudit ne connait visiblement pas la nuance de sens que produisent « certains sont » et « ils sont ». Peu importe, son « expérience » (mot que l'on retrouve en moyenne dans les trois quarts de ses posts) lui suffit
Un peu comme le modo spécial, il se représente en train de flotter perpétuellement au-dessus des masses, analysant l’humanité avec ce qu’il croit être un esprit fin et supérieur, incapable de voir qu’il tombe sans arrêt dans les travers dont il se moque.
Le modo (à peu près) lucide
Lucide, un terme qui signifie, dans le jargon bimbolandien : « adjectif rarement utilisé, qualifiant à l’occasion un modérateur capable de discernement, immédiate ou tardive, ayant quitté son poste de sa propre initiative, sans organisation préalable d’un pot de départ par ses collègues, qui de toutes façons le détestent et réciproquement. A rapprocher du « modo sympa » duquel il est une version plus aboutie » (Régine Maso, « le langage bimbolandien expliqué à ma fille »,)
Le modo lucide a donc fait long feu, mais avant qu’il parte, ce n’était quand même pas si mal. Elu en raison de certaines affinités qui tombaient bien au bon moment ce que c’est que le hasard quand même, on lui pardonne assez vite, car convaincu dès le début du bien-fondé de sa mission, il ne ménage pas ses efforts afin de faire régner la paix et les discussions de bon goût au village des Schtroumphfs.
Parfois irritant certes, mais toujours sincère et ouvert au dialogue, on a beau voir des joueuses tenter de lui expliquer pour la 3000 ème fois qu’il y a pire dans la vie qu’une bretelle de soutien-gorge qui dépasse sur un avatar, il ne s’énerve pas, on a envie de lui faire des bisous. On voit se profiler de loin les ennuis lorsqu’il ouvre un topic destiné à permettre à des lauréates contestées de l’élection de s’exprimer, mais on excuse son imprudence : calme et pondéré, il a oublié que le sujet des élections, parfois débattu par des joueuses aux propos constructifs, est et restera avant tout le terrain de prédilection de nos kikoulol à nous qu’on aime cré fort. Imaginez une armée de pitbulls dressés à attaquer lorsqu’on leur dit « élections », « tricherie mais on n’est pas sur qu’en pensez-vous », « petit niveau », « demande de votes », et vous serez encore en-dessous de la réalité.
Il continue encore pendant quelques temps à aider dès qu’il le peut, on a l’impression de le voir partout, tout le temps, même dans son salon (sauf qu’il est habillé), mais vu la rapidité et la fréquence d’intervention de la majorité de ses collègues, c’est un peu normal.
Et puis un jour, il s’en va. Et puisque ses fainéants de con-frères n’ont pas bougé leur cul jusqu’au supermarché du coin pour acheter boissons et victuailles, son pot de départ, il va l’organiser tout seul, encore.
Il ouvre donc un topic où il explique les raisons de son abandon, on apprend seulement qu’il avait le sentiment d’être mal-aimé, parce que le fait que ses collègues ont un poil dans la main, on le savait déjà. Histoire qu’on lui trouve un défaut, il clame encore son amour pour les rubans de Princesse la Redoute et le fouet de super modo, mais qu’importe : il est le seul à avoir compris qu’il ne suffit pas de clamer «je fais des boulettes car je suis humain », qu’être « humain » ce n’est pas éviter les boulettes mais justement avoir l’intelligence d’en discuter sans lâcher des vents plus haut que son arrière-train. Merci à lui.